A. de Riedmatten: Jusque ad effusions de san

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Titel
Jusque ad effusions de san. La révolte des bourgeois d’Estavayer de 1426


Autor(en)
de Riedmatten, Adrien
Erschienen
Sion 2018: Editiones Rectorati Sanctissimae Trinitatis
Anzahl Seiten
602 S.
von
Gilbert Coutaz

La thèse de doctorat défendue en 2017 à l’Université de Neuchâtel (Prof. Jean-Daniel Morerod) repose sur une liasse de papiers découverte en 1943 par Gabriel Bise au fond d’une caisse, dans les Archives communales d’Estavayer-le-Lac, mais dont des éléments étaient déjà connus depuis la publication en 1905 par Fridolin Brülhardt des notes rédigées par Dom Philippe Grangier (1743-1817). Même incomplète, elle fournit à Adrien de Riedmatten la trame de ses recherches, l’opportunité de dresser le tableau des différentes coutumes et des droits appliqués dans la frange territoriale, la plus au nord des possessions savoyardes, de situer la place comme lieu-frontière d’Estavayer-le-Lac dont l’identification à la cause savoyarde est moindre que les villes de Moudon et de Lausanne, et de reconsidérer la place d’Humbert le Bâtard (vers 1377-1443), fils illégitime du comte Amédée VII dans l’historiographie savoyarde. Le tout est enrichi par la transcription et la traduction du procès intenté en avril 1426 (en fait le premier compte rendu procédural du XVe siècle), à Mermet Decrin, bourgeois staviacois, pour avoir refusé de payer l’impôt à Anselme, coseigneur, et pour avoir soustrait son cheval comme gage au châtelain. En conséquence de quoi, Anselme fait enfermer Mermet, malgré les franchises favorables aux bourgeois. Ceux-ci se portent au secours de leur pair, en prenant les armes contre leur châtelain. Ils en appellent à la médiation de Humbert le Bâtard, coseigneur lui aussi, mais surtout suzerain de la ville depuis 1421 au nom de la Savoie. Humbert le Bâtard quitte alors Estavayer pour Montagny et ouvre une procédure qui va durer plus d’un an et qui verra s’affronter le droit coutumier vaudois, haute et basse justice seigneuriale, droit ecclésiastique et, selon certains auteurs, pour la première fois en Pays de Vaud, droit écrit savoyard. Les bourgeois refusèrent de se soumettre à une assignation à comparaître. Mermet échappa à la prison, l’affaire se termina par une amende, puis un compromis dont le règlement prendra encore plusieurs années.

Dans son souci de contextualiser l’affaire, l’auteur refait l’histoire de la présence savoyarde dans le Pays de Vaud depuis le XIe siècle, en particulier de la baronnie de Vaud et des relations entre Humbert le Bâtard et son demi-frère, le duc Amédée VIII ; il recense les cas de révoltes bourgeoisiales et de troubles insurrectionnels parmi lesquels le fameux duel judiciaire d’Othon de Grandson et de Gérard d’Estavayer – il étendra son investigation à des affaires du XVIIe et du XVIIIe siècle, sans une réelle filiation avec l’affaire Decrin.

Plus convaincantes sont les pages concernant le rôle stratégique d’Humbert le Bâtard dans son apanage du Pays de Vaud dont les intérêts se combinent avec ceux du duc de Savoie, dans le renforcement du système défensif d’Estavayer, organisé autour du château de Chenaux qu’il achète en 1432 et dont il fait son siège, non sans embellir les églises de la ville. Il prendra par la suite le titre de comte de Romont, en 1439, sur la volonté d’Amédée VIII en reconnaissance de son action unificatrice et pacificatrice sur une myriade de possessions, sises sur les marches du duché.

La thèse est servie par un dossier d’affaire de qualité, dont la tenue s’étala sur plusieurs années, engageant plusieurs autorités et l’ensemble des textes juridiques de l’époque, et consignant les noms des bourgeois concernés, dans un langage des sources avec un relevé précis des fonds d’archives et d’une bibliographie exhaustive (70 pages) et d’un index des noms de personnes et de lieux, soigné (16 pages), ainsi que d’un ensemble de 6 cartes pour autant de pages (5 sont de la composition de l’auteur et de son épouse Gabrielle). Ce volume reprend en fait le modèle des Cahiers lausannois d’Histoire médiévale (CLHM) dont il se distingue par le format. Le reste est occupé par un plan étonnamment simple, soit une introduction de 123 pages et une conclusion de 26 pages. En fait, au lieu de se limiter à l’énoncé de sa démarche, contenu aux pages 12 à 15, l’auteur étend son introduction à une large présentation de la Savoie au nord du Léman, en particulier en Pays de Vaud, et à l’histoire d’Estavayer, dont de nombreuses pages auraient pu être résumées et dont des titres de chapitre (c’est une constante du livre) relèvent d’un langage ampoulé, tels que « La Savoie de l’Au-delà », « Pendant ce temps-là, en Savoie », « Du tempérament vaudois au début du XVe », « Des humeurs de la ville médiévale au début du XVe siècle ». Autant les éléments qui précèdent le procès sont utiles, autant des portions du chapitre « L’après-révolution », celles sur l’avenir des révoltes bourgeoisiales paraissent inutiles, tant les filiations entre les événements sont ténues, voire inexistantes. Il est dommage que le chapitre « Un complot, si oui, de qui ? » arrive au terme de la conclusion, alors qu’il aurait dû constituer une hypothèse de travail et traverser les rapports de connivence entre tous ces bourgeois cités aux pages 234-239 : Ramalet, Griset, Cantin, Maczon, Palleon, Delley, Dedelley, Pavillard, Font, Chaucy, Cabud, Favre, Oliver, Gadrel, Borguignon, Perrisset, Vaulery, Banquetaz, Catellan, Champion, Chastonay, Blanc, Bourgeois, Pelaton, Clavel, Girard, Clerc, Lambert, Berchiez, Duc, Gaschet, Combremont, Udry et tant d’autres noms du crû donnés au fil des procès-verbaux des auditions et dans cette « bande de papier » exhumée des Archives d’État de Turin, dressant la liste des prénoms et des noms des familles d’Estavayer, vers 1430. Néanmoins, cette publication offre de nombreuses originalités documentaires, des apports substantiels à la connaissance du passé savoyard du Pays de Vaud et à l’histoire régionale et locale dont on peut mesurer le pouls et le ressenti de ses habitants, plus spécifiquement de ses bourgeois en butte avec la noblesse.

Zitierweise:
Gilbert Coutaz: Adrien de Riedmatten: « Jusque ad effusions de san ». La révolte des bourgeois d’Estavayer de 1426, Sion : Editiones Rectorati Sanctissimae Trinitatis (ERST), 2018. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 127, 2019, p. 171-173.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 127, 2019, p. 171-173.

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